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Le réalisateur François Girard raconte «son» Parsifal

En 2008, quand le directeur du Metropolitan Opera (MET) de New York propose à François Girard de concevoir une nouvelle production de Parsifal, il lui lance cet avertissement : «Tu as déjà rejeté deux de mes offres, celle-ci sera la dernière.»

 

Vétéran de la scène lyrique, le cinéaste québécois bien connu François Girard a en effet refusé de s'attaquer aux Contes d'Hoffmann pour le MET parce qu'il éprouvait des difficultés à s'approprier la partition d'Offenbach. Parsifal ne saurait souffrir pareille objection. Testament spirituel du grand compositeur allemand, l'œuvre est considérée comme la plus importante de l'histoire de la musique.

«Je n'ai pas choisi Wagner, c'est Wagner qui m'a choisi», a résumé le réalisateur du Violon rouge et de Trente-deux films brefs sur Glenn Gould durant sa conférence du 22 mai dernier au Carrefour des arts et des sciences de l'Université de Montréal. La rencontre était organisée par Mariella Pandolfi et Laurence Mcfalls, professeurs respectivement au Département d'anthropologie de l'UdeM et au Département de science politique, dans le cadre des activités du Groupe international de formation à la recherche «Diversité» (IRTG Diversity). Devant un public suspendu à ses lèvres, M. Girard a relaté son combat contre «le monstre» du répertoire allemand.

Captée sur vidéo, sa conférence «sur l'ethnographie de la conception d'une œuvre d'art» figurera au programme du cours Politique et musique, offert par le Département d'anthropologie de l'Université l'automne prochain. Animé par Mme Pandolfi, le séminaire est accessible aux étudiants des deuxième et troisième cycles. Il comprendra aussi des causeries d'experts mélomanes sur les liens de Verdi avec le nationalisme italien et le rôle du jazz dans la vie politique américaine.

Le Parsifal de François Girard a d'abord été présenté à l'Opéra de Lyon en 2012, puis au Metropolitan Opera en 2013, avec Jonas Kauffmann dans le rôle-titre. Le conférencier a mis l'accent sur les aléas de son aventure wagnérienne, un parcours jonché de doutes, de trouvailles et de catastrophes ultimement évitées.

Il a raconté avoir longtemps été incapable de concrétiser sa vision de l'œuvre ‒ il a écarté six concepts avant de retenir la force visuelle d'un plateau dépouillé à l'extrême. Il a invoqué la démesure de Wagner, son mystère. «On a su qu'on commençait à tenir Parsifal quand on a plongé nos mains dans le sang», a-t-il fait remarquer

À l'Opéra de Lyon, où Parsifal est monté en premier lieu, un conflit de travail oppose la direction aux techniciens de scène. La pagaille règne. Dans ce tohu-bohu, un chef d'orchestre tombe dans les pommes, des chanteurs ne se présentent pas aux répétitions, la générale doit être reportée. Sans parler des camarades au bord de la crise de nerfs et des amitiés sacrifiées au détour. Puis la scénographie s'impose avec la projection d'une série de ciels tourmentés en arrière-scène. François Girard parvient également à trouver un «truc» pour animer ses 150 choristes sur scène : il les responsabilise en leur ouvrant la voie de l'improvisation (contrôlée). La chorégraphe ajoute sa touche à l'ensemble : son doigté relève de la perfection.

Parmi les trouvailles du metteur en scène, il y a notamment ce rideau miroir au début du spectacle qui renvoie au public sa propre image. Ce procédé l'a contraint à inclure des femmes dans la distribution, du jamais-vu dans Parsifal. Or, qui dit nouveauté, dit opposition. Jusqu'au bout, il aura à défendre son idée (finalement plébiscitée).

Toujours au chapitre de l'innovation, le Québécois a choisi d'envisager une perspective bouddhiste pour l'œuvre. Exit le parcours un peu trop calqué sur celui du Christ. Chez François Girard, la métaphore mystique se veut plus abstraite, plus sobre. Encore là, les critiques se sont inclinés.

Arrive le soir de la première à New York. Le spectacle dure cinq heures et demie, le MET compte 4000 places. «C'est la grand-messe dans la grande cathédrale.» À ce moment précis, il ressent un trac inhabituel, lui qui sait généralement rester calme : «Pourquoi n'ai-je pas monté les Contes d'Hoffmann?» a-t-il confié à l'auditoire.

Finalement, le Parsifal de François Girard s'imposera comme l'un des spectacles de la scène lyrique parmi les plus acclamés sur la planète. Pour Mariella Pandolfi, spécialiste de l'opéra, François Girard a créé un Parsifal immense. «En y introduisant des femmes, dit-elle, il a changé l'image de cette œuvre.»

Hélène de Billy
Collaboration spéciale