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«Le conflit en Syrie est un conflit de principe et il sera de longue durée.» ‒ Samir Saul

L'avion de chasse russe abattu par l'armée turque le 24 novembre n'augure rien de bon pour la situation qui prévaut au Moyen-Orient et plus particulièrement en Syrie. «On assiste en Syrie à un conflit de principe fondamental qui sera de longue durée parce qu'on risque de voir se transformer un conflit de basse intensité en un affrontement entre États.»

 

Telle est la prédiction qu'a faite Samir Saul, professeur au Département d'histoire de l'Université de Montréal, devant une centaine de personnes réunies à l'occasion d'une table ronde tenue à l'UdeM sur le thème «Attentats de Paris : quelles conséquences sur la politique française et mondiale?»

Outre M. Saul, trois professeurs experts du Département de science politique ont livré leur analyse de la situation à la suite des attentats du 13 novembre à Paris, soit Laurie Beaudonnet, George Ross et Marie-Joëlle Zahar.

L'approche française blâmable

Selon Samir Saul, l'approche «va-t-en-guerre» du président François Hollande n'arrange certes pas la situation actuelle en Syrie et, plus globalement, dans la région du Moyen-Orient.

«Depuis 2011, le président français est le dirigeant le plus engagé en Syrie avec une politique de renversement du régime de Bachar el-Assad pour établir on ne sait trop quoi, indique-t-il. Il a appuyé les djihadistes et les a utilisés pour déstabiliser le président el-Assad.» Selon lui, le 13 novembre a marqué l'expansion du phénomène terroriste en Occident. «Un nouveau seuil est franchi : les actes terroristes – qui étaient le quotidien des Syriens – se déversent désormais à plus grande échelle avec une nouvelle stratégie de Daesh», ajoute le professeur.

Or, la tentative de redécoupage de la Syrie en recourant à l'opposition syrienne a échoué, ce qui a permis l'émergence du groupe armé État islamique (ou Daesh) dans la région en 2014-2015.

«Avant le 13 novembre, François Hollande n'était pas favorable à une coalition, mais, après les attentats de Paris, il s'est présenté comme le champion d'une coalition... Il demande au président russe, Vladimir Poutine, de participer à cette coalition alors que c'est Poutine lui-même qui l'avait proposée bien avant : François Hollande essaie de se refaire une virginité», a déploré M. Saul.

Montée de l'extrême droite en France

Depuis les attentats survenus à Charlie Hebdo en janvier dernier, des chercheurs ont observé que la peur et la colère des Français alimentent leur soutien à des mesures plus répressives dans l'Hexagone, a dit Laurie Beaudonnet.

«La réaction du président Hollande depuis le 13 novembre a eu pour effet que la population a envoyé un message de mobilisation, d'union et de soutien envers l'exécutif», mentionne la politologue.

Toutefois, elle doute que cet appui entraîne une hausse du taux de participation aux élections régionales des 6 et 13 décembre prochain. «Il va peut-être augmenter de deux points de pourcentage, pour se situer autour de 40 %», prévoit-elle.

Les socialistes au pouvoir semblent profiter quelque peu de l'accueil positif qu'a ménagé la population à la riposte orchestrée par François Hollande, tandis que la droite perd des appuis au profit de la droite radicale représentée par le Front national (FN).

«Le FN va tenter de tirer parti des attentats et pourrait enlever deux régions, mais sa montée est observable depuis quelques années déjà», a poursuivi Mme Beaudonnet.

George Ross craint justement que ce renforcement du Front national attise davantage la xénophobie chez les Français et ses effets néfastes potentiels.

«En France comme en Belgique, on remarque un soutien grandissant à une sécurisation antiterroriste à l'échelle nationale et une tentation de l'étendre à l'Europe et je redoute l'extension des états d'urgence ainsi que les changements constitutionnels qui pourraient accorder plus de pouvoir aux services de sécurité aux dépens des droits civiques», soutient le titulaire de la Chaire Jean-Monnet en droit de l'Union européenne.

George Ross dit aussi avoir peur de la réponse internationale aux attentats de Paris. «Avec l'établissement d'une coalition pour frapper en Syrie, on risque de provoquer un effet boule de neige qui pourrait aboutir à la même bêtise que les coalitions ont engendrée en Irak et en Libye, où le chaos s'est installé après qu'on a chassé le pouvoir en place et qui encourage la montée du terrorisme.»

De profonds désaccords, jusqu'à l'ONU

Ayant agi à titre d'experte en médiation auprès de l'Organisation des Nations unies (ONU) au cours des deux dernières années, Marie-Joëlle Zahar remet en question la capacité de la communauté internationale à surmonter ses désaccords pour appuyer un processus de paix en Syrie.

«Il y a actuellement deux grands désaccords. Le premier découle d'un problème de cadrage du conflit syrien, à savoir si celui-ci est une guerre interne entre le régime autoritaire et l'opposition ou si le pays subit des attaques terroristes contre son régime», relève-t-elle.

Le deuxième désaccord de la communauté internationale concerne le sort de Bachar el-Assad lui-même : doit-il rester ou non en poste? Avec la possibilité que son retrait provoque un vide comme en Irak et en Libye.

«Par ailleurs, une lutte idéologique est en train de se jouer au Conseil de sécurité de l'ONU, entre des pays qui ont forcé une discussion afin de transformer notamment le Département des opérations de maintien de la paix en un instrument de lutte contre le terrorisme et plus particulièrement contre l'islamisme», avertit Mme Zahar.

Malheureusement, les attentats de Paris «et les autres à venir, parce qu'il va y en avoir», risquent d'apporter de l'eau au moulin de ceux qui veulent «fondamentalement transformer le rôle de l'ONU en invoquant un monde plus dangereux que jamais dans lequel les États se battent contre des groupes qui ne peuvent être neutralisés avec les armes traditionnelles de la diplomatie, du développement ou de l'inclusion politique», conclut Marie-Joëlle Zahar.

Martin LaSalle